- Tiber a écrit:
oufffff ça a du étre quelque chose
Tiens, pour ceux qui auront le courage de lire (mon papa écrit encore plus que moi) voila cque ca donnait
Dimanche 25 octobre 1998. Ce matin à 7h00 la station météo de Miami annonce que l'ouragan "Mitch" dont on suivait la course depuis 5 jours est positionné à 250 milles au Sud-est de Roatan (HONDURAS) et qu'il prend une direction Nord Ouest à 6 nœuds en se renforçant. Plus d'autre alternative, il nous faut fuir. Des Cayos Cochinos nous devons d'abord rejoindre Roatan à 26 milles pour y déposer les copains que nous avons à bord.
Alors que nous avons bénéficié les jours précédents d'un temps superbe et d'une exceptionnelle mer d'huile, le retour vers Roatan se fait au moteur, sans vent, par temps gris et sur une mer légèrement agitée par une grande houle.
Sur l'île la panique est à son comble. Les autorités - pas préparées - ne diffusent aucun conseil, aucune consigne de sécurité. Personne ne sait quoi faire, tous s'affolent et beaucoup se ruent vers le petit aéroport.
A 14 heures je mouille dans la baie de West End. Il nous faut 3 heures pour débarquer les copains, leur
matériel de plongée, récupérer une grosse ancre qui nous sert de corps-mort et transporter par bidons 80 litres de gasoil achetés à la petite supérette (on est dimanche tout est fermé).
A 17h40 David et moi nous éloignons confiants de Roatan, cap vers le Rio Dulce (GUATEMALA). "Stardust I" tient en général des moyennes de 6 nœuds. Nous avons 130 milles à courir plein Ouest ; une ballade de santé que nous avons effectué plusieurs fois. La météo marine à 18 heures donne "Mitch" à 200 milles dans notre Sud Est ; 145 nœuds (+250 km/h) de vent en son centre, grossissant toujours et poursuivant sa route à 6 nœuds. Nous conserverons donc toujours cette distance de sécurité de 200 milles. Très grave erreur de jugement de ma part ; j'aurai du me fier aux signes annonciateurs... La nuit est tombée, le vent est NNE force 4 et la mer agitée. Nous naviguons travers au vent toutes voiles sorties mais les courtes et pénibles vagues du nord-ouest nous ralentissent. Je m'appuie du moteur.
La mer sans être grosse devient de plus en plus agitée et désagréable. Le vent est contraire au courant et aux vagues et il ne nous donne pas la puissance nécessaire à passer ces vagues courtes. Vers minuit le moteur a des baisses de régime ; un frisson d'inquiétude me parcourt l'échine et je préfère le stopper. Nous nous traînons toute la nuit à la voile tandis que le vent refuse peu à peu en fraîchissant.
Lundi 26 octobre. A 5 heures du matin nous n'avons parcouru qu'un cinquantaine de milles. Le vent de Nord-ouest force 5 nous oblige à naviguer au près cap au Sud-ouest. Bien que les vagues ne dépassent pas 2 m la mer est maintenant très agitée. "Stardust I" cogne et vibre à chaque vague et notre vitesse n'excède pas 4 nœuds. Alors que je suis allongé un bruit suivi du fasseillement du génois m'alerte. Le point de drisse trop usé a cédé sous les chocs brutaux. Le génois a glissé le long de son enrouleur et traîne dans l'eau. Nous voilà sous grande voile seule. Je n'ai plus le choix, je dois relancer le moteur. Avant de le démarrer, le nez dans la cale, je contrôle le filtre séparateur de gasoil-eau. Il est plein d'un liquide boueux. Après cet agréable nettoyage, "Stardust I" stoppé sur une mer agitée le bateau pue le gasoil mais le moteur retrouve sa puissance. La météo le matin confirme la position du cyclone à 140 milles, vitesse 6 nœuds, vents jusqu'à 165 nœuds (+280 km/h).
Je comprends alors ma terrible erreur : me basant sur la vitesse de progression du centre de l'ouragan j'ai oublié que "Mitch" était dans une phase d'expansion et qu'on se ferait rattraper par le mauvais temps.
A midi la mer est une bouilloire. Nous avançons péniblement à 4 nœuds alors que le moteur est presque au maximum. Nous sommes secoués dans tous les sens mais un nouveau drame se joue : pour compenser la défection du génois nous avons surtoilé au niveau de la grande voile et les rivets qui maintiennent l'enrouleur de GV sur le mat sautent les uns après les autres sous l'effet des secousses répétées. Je dois me résoudre à réduire l'unique voile restante puis un peu plus tard à l'enlever complètement avant que l'enrouleur ne s'arrache et ne tombe sur le pont. La situation devient préoccupante - sans parler de l'inconfort - car il ne nous reste que le moteur faiblard et nous consommons beaucoup. Après quelques rapides calculs je constate que nous n'aurons pas assez de gasoil et je décide de me rapprocher de Puerto Cortes sur la côte à 30 milles pour faire le plein.
Chaque heure je démonte et nettoie le pré-filtre. Le moteur aspire maintenant le fond du réservoir qui secoué depuis des heures contient plus de boue que de gasoil. Il faibli de plus en plus.
A 16 heures le moteur à plein régime nous nous traînons à 2 noeuds et je doute qu'on puisse atteindre Cortes. D'ailleurs à cette vitesse quand nous y arriverons il fera nuit et tout sera fermé. Je tente en vain de joindre la Capitainerie par VHF.
Une heure plus tard la capitainerie me répond enfin. Je leur demande s'ils peuvent me livrer du gasoil en mer. Ils contactent la base navale militaire. Nous continuons péniblement notre route vers eux à 1 nœud sur le fond. Il ne nous reste que 13 milles mais un fort courant contraire et une mer épouvantable nous freinent. Les vagues de 3 à 4 m viennent de toutes les directions ; nous sommes dans un chaudron en ébullition. Tout en attendant la réponse de la Capitainerie, inquiet, je réfléchi. J'imagine mal comment le fait d'avoir du gasoil changera notre situation. On n'arrive plus à faire route. Voyant David malade et inquiet pour la première fois en bateau je garde mes impressions mais à tout hasard je prépare les papiers, l'argent et quelques affaires dans un sac étanche. David n'est pas fou ; il ne dit rien mais a compris.
A 18 h 30, la météo annonce 165 nœuds de vent au centre du cyclone qui est à 100 milles à l'Est et qui poursuit sa route vers le Nord Ouest. J'ai eu plusieurs contacts avec la capitainerie qui m'affirme qu'un bateau militaire vient de partir à notre rencontre avec 80 litres de gasoil. Je n'ose leur dire que c'est inutile. Depuis 30 mn, le moteur à fond nous reculons sur le fond et l'écart de 60 milles entre le Rio Dulce et nous se creuse ! Pas d'abri possible à Puerto Cortes, je dois envisager la possibilité d'abandonner le bateau. David se met à pleurer car ses nerfs ont lâchés. Il a peur mais surtout il ne veut pas entendre parler de quitter "Stardust I". Je le rassure.
La nuit est tombée. Les orages sont violents et occultent les lumières de la ville pourtant proche. Les vagues dépassent 5 m et explosent sur "Stardust I" qui tremble de tout son gréement. Il est évident que nous ne pourrons pas rejoindre le Rio Dulce. De toute façon il ne sera pas possible de transvaser le gasoil d'un bateau à l'autre et ensuite de remplir le réservoir. Mon seul et faible espoir reste qu'ils viennent avec un bateau assez puissant, qu'ils acceptent de me remorquer jusqu'à la base militaire et de là qu'ils puissent me sortir de l'eau avec le trave-lift. Sinon on abandonnera le voilier pour embarquer avec les sauveteurs.
Je n'ai aucun contact avec le bateau de secours qui ne nous trouve pas malgré la position GPS et mes feux de route. Toute les 10 minutes je tire une fusée de détresse ou allume un feu à main quand la pluie faiblit.
A 20 heures je perds patience. La capitainerie m'affirme que les secours me cherchent mais qu'ils ne me voient pas. Ils n'ont pas de GPS à bord. C'est impossible mon bateau est éclairé comme un arbre de Noël et je continue à épuiser mon stock de fusées.
A 21h25 la mer est furieuse bien que le vent ne dépasse pas 40 nœuds sous les orages. David a fini par s'endormir dans sa cabine. "Stardust I" recule toujours alors que le moteur est lancé à fond en marche avant ; ce bon Perkins n'en peut plus de s'alimenter au gasoil boueux ! La base navale m'appelle : les secours ont failli sombrer, ils ont abandonné les recherches et ont fait demi-tour. "La mer est trop grosse on ne peut rien faire pour vous !" : telle est la dernière parole lancée par le capitaine militaire. Je n'en crois pas mes oreilles. J'entame en espagnol une discussion de la dernière chance avec le Capitaine du port en lui expliquant son devoir. Il ne peut pas se contenter de nous annoncer qu'il ne peut rien pour nous. Il a toute latitude pour alerter et dérouter un cargo, envoyer en mer un gros chalutier, un hélicoptère peut-être. Il semble dépassé, hésite, ne sait pas. Finalement il se débarrasse de moi en me répondant qu'il verra demain si les conditions sont meilleures. Avec le courant qui me pousse à l'est et le cyclone qui se déplace vers l'ouest demain nous serons au centre de l'apocalypse.
Il me reste environ 5 litres de gasoil boueux. J'arrête le moteur inutile et déclenche ma balise de détresse Sarsat-Comsat tout en étudiant les cartes. Je veux être sur que quelqu'un de responsable connaisse notre situation et notre position. "Stardust I" dérive parallèlement à la côté distante de 3 milles. Il me faut trouver une plage sur laquelle je pourrais échouer le voilier et débarquer sans danger. C'est alors que sur la carte je repère la lagune "el diamante" à 10 milles à l'EST. Complètement entourée de mangrove, fermée côté mer par une colline rocailleuse elle a un étroit accès entre deux blocs de rochers. Je décide de tenter une approche et manœuvre la barre pour diriger notre dérive vers la bonne direction.
Minuit ; je suis au large et à l'aplomb de la lagune. Je relance le moteur au ralenti après un ultime nettoyage des filtres. Avec l'aide du courant nous filons 5 nœuds. Il serait con de tomber en panne maintenant. J'ai relevé sur le guide nautique un point à l'entrée de la passe et l'ai reporté sur le GPS espérant qu'il est fiable. Au radar, j'affine ma trajectoire. La mer est nettement plus calme dans cette grande baie qui abrite l'entrée de la lagune. J'avais pensé éventuellement mouiller à l'extérieur et attendre le lever du jour mais les vagues déferlent dans cette zone de hauts fonds et je suis crevé, lessivé. Je veux en finir.
00 heures 45 ; sur l'écran radar, je distingue très bien les deux rochers délimitant la passe telle qu'elle est dessinée sur le guide. Le plus lentement possible, sous pilote automatique je m'approche. Je suis à l'étrave et muni d'un projecteur puissant je cherche à percer la nuit et la pluie balayant du faisceau alternativement tribord et bâbord. C'est le trou noir. Je cours de l'étrave au radar contrôler mon alignement, je jette un œil au GPS - traceur de carte. A l'extérieur seul le bruit en stéréophonie des vagues explosant sur les rochers de part et d'autre me confirme que je suis dans l'axe de la passe. Brusquement mon cœur fait un bond le projecteur vient d'éclairer le rocher à bâbord. Je pivote le flash, voilà celui de tribord. Je fonce aux commandes et accélère. Cinq minutes plus tard nous sommes mouillés au centre d'un étang ; même le bruit est feutré. Je stoppe la balise de détresse au moment même où la base navale m'appelle par radio. C'est un autre officier beaucoup plus serviable qui m'interroge sur notre situation - on apprendra plus tard que la balise a joué son rôle, le centre de Toulouse a averti ma famille et le CROSSMED qui ont alerté l'Ambassade de France au Honduras qui a alerté la Capitainerie de Puerto Cortes. Mais là "à chaud" et enfin à l'abri je les informe de notre position et les envoie balader.
Mardi 27 octobre. "Mitch" est au Nord est de Guanaja, le vent au centre dépasse 340 km/h. Le "Fantôme" superbe 4 mats en acier de 80 m de long disparaîtra dans la journée avec ses 27 hommes d'équipage (aucun survivant). Sur l'île de "Swan" ou vivent en permanence 5 militaires, 4 civils et 500 vaches, tout sera détruit à l'exception de l'abri sous-terrain. Pas un cocotier ne résistera et 350 vaches rouleront et s'envoleront avant d'amerrir et couler offrant aux requins un festin inattendu. Mon ami Robert seul dans son voilier "Lune" à la cape sèche à une vingtaine de milles de l'œil de "Mitch", renfermé dans son solide voilier en aluminium de 7,50 m fera un 360 perdant son gréement et toutes ses affaires. Il lui faudra 17 heures de lutte dans une mer dantesque pour vider au seau son voilier au bord de couler et 5 jours pour rejoindre sous gréement de fortune la terre ferme.
"Stardust I" bien accroché par ses 4 ancres et mouillé très proche de la colline ne sera plus joignable par VHF. Avec David nous vivrons une semaine de suspens, de craintes, de joies, de calculs, d'hypothèses au gré des capricieux mouvements de Mitch. Le vent soufflera régulièrement entre 40 à 50 nœuds et la dernière nuit atteindra 70 nœuds pendant quelques heures. Nous perdrons un mouillage complet et une ancre. Nous serons baignés de milliers de litres d'eau de pluie. Nous suivrons sur la radio FM les chaînes de solidarité mises en place par les radios locales, nous apprendrons par RFI que le Honduras compte plus de 10.000 morts que des villages et plus de 80 % des ponts du territoire ont été détruits. Plus tard rejoignant par beau temps Puerto Cortes nous lirons sur la presse locale que "Stardust I" a été porté disparu mais que son équipage avait été sauvé ! Bonne nouvelle.... Surtout pour mon assureur !